Les Miss Gorditas dans Vice pour le 8 Mars-Jour international des droits des Femmes

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Malgré une meilleure acceptation au sein de la société, les « Miss Gorditas » du Paraguay restent toujours victimes de nombreuses discriminations.

Les Miss Gorditas du Paraguay ont pour particularité de toutes peser plus de 80 kilos.

J’ai rencontré plusieurs de ces femmes par le biais de Mike Beras, directeur de l’agence de mannequinat « Plus Size ». D’origine brésilienne, il vit au Paraguay depuis 27 ans. Avant de créer son agence en 2012, l’homme a aussi et surtout fondé le concours de beauté des Miss Gorditas.

Pour la plupart jeunes et ayant grandi dans des familles aux origines modestes, ces femmes doivent bien souvent leurs kilos en trop à une mauvaise alimentation. Ainsi, au sein de l’agence, elles sont suivies au cas par cas par le docteur Vacante, nutritionniste qui leur offre les meilleurs conseils pour bien s’alimenter.

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Si elles sont intégrées dans la société paraguayenne, elles ont pour la plupart à un moment ou un autre déjà souffert de discrimination ou de moquerie en raison de leur obésité – d’ailleurs, en ce qui concerne les discriminations, le Paraguay reste toujours le seul pays d’Amérique latine à n’avoir jamais instauré une quelconque loi à ce sujet.

Je me souviens par exemple d’une Miss Gordita du nom de Laura Ochipinti qui pesait plus de 100 kilos et qui m’a raconté qu’elle avait toujours rêvé de travailler dans un showroom. Quand elle s’est présentée à son entretien, le directeur de l’entreprise lui a dit : « T’es trop grosse, tu vas faire fuir les clients ! ». La discrimination à l’embauche est l’un des grands problèmes que ces femmes rencontrent dans leur vie, sans oublier les insultes des hommes dans la rue ou les commentaires dégradants de la part de certains de leurs petits amis. Ces derniers, bien qu’ils choisissent de se mettre en couple avec une femme obèse, semblent dans le même temps en avoir honte. Au quotidien, cela est très difficile pour elles. Pourtant, il y a plus d’hommes qui aiment les rondes que ce que l’on veut bien le croire.

Mike Beras m’a aussi raconté qu’une fois, alors que les mannequins de son agence étaient invitées à une émission télé de grande audience, un célèbre animateur – en off, bien sûr – a pris les gâteaux qui étaient présents sur le plateau pour les faire passer sous le nez des Miss en se marrant. Aussi, dans une autre émission, quand les Miss attendaient leur tour pour entrer sur le plateau, des assistants leur disaient en rigolant : « Les filles, attention de ne pas casser les chaises ! ».

Au Paraguay, comme dans beaucoup d’autres pays d’Amérique latine, on idéalise la femme objet refaite de la tête aux pieds. La télévision est le reflet de cet idéal. Toute la journée, les émissions télé montrent des femmes aux corps parfaits, minces, belles et à moitié nues. Les femmes qui regardent ces émissions se sentent frustrées et les hommes considèrent que ce qu’ils voient représente une norme. Être obèse dans la société paraguayenne n’est ainsi pas une mince affaire. Pourtant, paradoxalement, 48,5 % de la population paraguayenne souffre d’obésité.

Cependant, depuis que les médias internationaux s’intéressent aux Miss Gorditas, les médias paraguayens ont commencé à accepter le fait qu’elles devenaient de plus en plus importantes au sein de la société – elles comptent désormais des milliers de fans sur la page Facebook de leur concours. Mike Beras m’a toujours dit que « sans couverture internationale sur les Miss Gorditas, on en serait toujours au même point au Paraguay ». En plus de gérer son agence et d’organiser son concours, l’homme œuvre aussi socialement en organisant des conférences et des évènements afin que l’obésité soit mieux acceptée au sein de la société et que les femmes rondes retrouvent l’estime d’elles-mêmes.3-198poundsoffame

Je pense que la dictature de la minceur et du corps parfait commence à fatiguer les femmes du monde entier qui se sentent peu représentées. Dans son fameux calendrier, Pirelli commence à faire poser des mannequins « grande taille » comme Candice Huffine. De même pour Calvin Klein. Si c’est encore moindre – et que cela restera sans doute ainsi car le corps résolument parfait fera toujours plus vendre ou fantasmer –, il y a plus de femmes rondes que de femmes au corps parfait. Il y a ainsi un marché exploitable pour les marques. Je pense que le phénomène des Miss Gorditas découle de cet état de fait.

J’ai découvert ce sujet via un court article d’un journal argentin. Il m’a intéressé pour deux raisons. Dans mon travail, je me spécialise notamment sur les conditions de la femme et j’ai réalisé de nombreux reportages à ce sujet en Amérique du Sud. Le Paraguay est un pays qui me fascinait et qui a une particularité : on sait très peu de choses sur sa culture et sur ce qui se passe socialement dans ce pays.

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J’ai réalisé ce reportage à Asunción – la capitale du pays, là où est basée l’agence « Plus Size » – en 2015. D’un point de vue photographique, je souhaitais illustrer le quotidien de ces femmes sur leur lieu de travail ou chez elle. Je voulais montrer la réalité de leur vie.

J’ai traversé Asunción de long en large accompagné de Mike Beras et de mon équipement pour me rendre chez chacune de ces Miss. J’ai décidé d’utiliser un parapluie et un flash pour réaliser des portraits plus « mode » que « documentaire ». Je ne voulais pas utiliser la lumière ambiante car je craignais que cela fasse trop « reportage ». Je voulais unir le côté glamour de ces filles – qui sont des mannequins XXL – avec la dure réalité de leur vie. Avec une lumière naturelle et en posant en tenue sexy chez elles, sur leur lit par exemple, cela aurait donné l’image de filles qui travaillent dans une maison close. Je voulais à tout prix éviter ça : elles méritent mieux que cette représentation négative.