LE BUSINESS DES MIGRANTS DE LA COSA NOSTRA- La Nación Revista

En juin 2017, j’ai eu l’honneur de publier dans le magazine argentin La Nación Revista un reportage sur la mafia sicilienne de la Cosa Nostra et les migrants.

Voici en exclusivité le reportage en français:

LE BUSINESS DES MIGRANTS DE LA COSA NOSTRA

En Italie, l’arrivée massive de migrants et de réfugiés ne cesse d’augmenter. Depuis 2015, un demi-million de personnes ont traversé la mer pour arriver en Italie. Une crise des réfugiés sans précédent qui permet aux mafias comme celle de la Cosa Nostra, en Sicile, de gagner beaucoup d’argent en les exploitant.

« Pour les mafias, les migrants rapportent plus que la drogue ! » me dit exaspéré Adham Darawsha dans un café de la rue Maqueda dans le cœur de Palerme en Sicile. Adham est un médecin de 37 ans originaire de Palestine qui vit en Italie depuis 13 ans et qui a été président du Consortium de la Culture de Palerme en 2013 auprès des différentes communautés de la ville. Il connaît parfaitement la situation difficile des réfugiés qui arrivent en Italie. Beaucoup d’entre eux ne parviennent pas à trouver d’emploi et encore moins en Sicile où le taux de chômage des jeunes avoisine les 42%. Sans papier, sans travail et sans revenu les migrants représentent des proies faciles pour les mafias. Selon la mairie de Palerme 30 000 migrants vivent en toute légalité dans la ville, mais c’est sans compter ceux qui sont illégaux et qui bénéficient du Système de Protection pour les Demandeurs d’Asile et Réfugiés (SPRAR en Italien).

 

Ville de Palerme, quartier de Ballarò, Sicile, Italie, avril 2017 Dans le quartier de Ballarò à Palerme où se trouve le fameux marché, un grand nombre de réfugiés s’y sont installés. Avant la crise des migrants, en pleine apogée en 2015, les habitants de Palerme n’étaient pas habitués à cohabiter avec des migrants. « Quand la Cosa Nostra gouvernait la ville il n’y avait aucun étranger » dit le maire Leoluca Orlando. Maintenant le quartier de Ballarò est connu comme l’épicentre de la drogue dirigé par la mafia nigériane de la Black Axe.

« Il y a deux ans, raconte le médecin Adham Darawsha en mangeant son cannoli (gâteau sicilien) il y a eu le grand scandale de la « Mafia Capitale » où 44 personnes appartenant à la mafia et au monde politique ont truqué les marchés publics de Rome pour détourner des millions d’euros de fonds qui devaient financer en grande partie l’accueil des migrants. L’État italien donne 35 euros par jour, par réfugiés, aux coopératives et autres organismes qui gèrent les centres. 2,50 euros de cette somme est sensée être distribuée aux milliers de réfugiés comme argent de poche. Le scandale de la « Mafia Capitale » a éclaté quand des associations de défense de migrants se sont rendues compte que les centres d’accueil de Rome n’étaient pas entretenus et que les réfugiés devaient vivre dans des conditions déplorables sans lits, sans eau chaude et sans suivre les indispensables cours d’italien pour faciliter leur insertion en Italie. » Ces affaires de détournements d’argent public des centres de migrants ne sont pas l’apanage de Rome. C’est aussi le cas en Sicile où la coopérative qui gère le Centre d’accueil de demandeurs d’asile de CARA Mineo où vivent 4000 migrants, a détourné plus de 100 millions d’euros. Un détournement lié à la mafia romaine et à la Cosa Nostra, la mafia locale de Sicile.

Cette mafia qui est la plus ancienne d’Italie a souffert de nombreux coups durs de la part du gouvernement italien qui après les assassinats en 1992 des juges anti-mafia Giovanni Falcone y Paolo Borsellino lui a mené une guerre sans merci. Parrains arrêtés, bien immobiliers confisqués etc. cette puissante mafia pour continuer à exister a dû recycler ses activités.  C’est ce qu’elle est parvenue à faire en profitant des migrants en Sicile dans les centres de réfugiés mais aussi avec ceux qui ont réussi à installer des commerces en leur exigeant chaque semaine une « redevance ». En italien on appelle cette activité les pizzos (racket). Près de la gare de Palermo, je dois justement me réunir avec l’association Addiopizzo. Une association créée en 2004 par des étudiants pour lutter contre le racket des commerçants par la Cosa Nostra. Cette association a réussi en mai 2016 à faire incarcérer sept membres d’une famille mafieuse directement rattachée à la Cosa Nostra. La famille Rubino qui régnait en maître sur la rue touristique Maqueda exigeait aux commerçants -en majorité d’origine bangladaise- 40 euros par semaine de pizzos. « Pour pouvoir travailler en tant que mafia dans une zone de la ville c’est indispensable d’être autorisé par les parrains de la Cosa Nostra » me dit Daniele Marannano dans les bureaux d’Addiopizzo qui avant appartenaient justement aux parrains de cette mafia. « Le problème que nous avons en Italie, me dit Ermes Riccobono, un autre membre de l’association, c’est que le pizzo et la mafia font partis de la culture du pays. Nous avons réussi à convaincre dix commerçants bangladais de la rue Maqueda de témoigner contre la famille Rubino qui les rackettaient et qui les menaçaient. L’un d’eux qui est propriétaire d’un bureau de change avait son local en permanence fermé. Effrayé par cette famille, il avait installé de nombreuses caméras de surveillance pour tenter de se protéger. Quand Emanuele Rubino et sa famille ont été incarcérés il a pu ouvrir de nouveau son local. »

C’est d’ailleurs l’un des membres de cette famille, Emanuele Rubino, qui a marqué les esprits après avoir sauvagement tiré à bout portant dans la tête d’un jeune migrant gambien du nom de Yusupha Susso en 2016 en pleine rue. Pour beaucoup il s’agissait d’un crime raciste. Par miracle, Yusupha n’est pas mort. La balle a traversé la tête mais il souffre de nombreuses séquelles physiques et psychologiques. En Sicile, Yusupha travaillait en tant qu’interprète auprès de la cour de Palerme et il n’était pas soumis aux rackets de la mafia. Une liberté mal acceptée de la part de la Cosa Nostra qui considère qu’un migrant doit forcément lui rapporter un bénéfice.

 

 

Ville de Palerme, Sicile, Italie, avril 2017 Ermes Riccobono est membre de l’ association Addiopizzo. Une association créée en 2004 par des étudiants pour lutter contre les rackets (pizzos) des commerçants par la Cosa Nostra. Emanuele Rubino, le mafioso qui a tiré sur Yusupha Susso rackettait avec sa famille les commerçants de la zone de la Via Maqueda à Palerme.

 

Ville de Palerme, Sicile, Italie, avril 2017 Emanuele Rubino, le mafioso rackettait les commerçants de la Via Maqueda à Palerme avec sa famille. Dix commerçants, dont l’un d’entre eux était propriétaire d’un money transfer ont témoigné contre Emanuele Rubino et sa famille pour extorsion. C’est dans cette même rue que Yusupha Susso a été grièvement blessé par balle, le 2 avril 2016, par Emanuele Rubino.

Ville de Palerme, Sicile, Italie, avril 2017 Les avocats de Yusupha Susso Giuseppe Centineo et Alì Listi Maman, dans leur cabinet d’avocat préparent la deuxième audience au tribunal pour défendre Yusupha contre le mafioso Emanuele Rubino.

Ville de Palerme, Sicile, Italie, avril 2017 En 1991, l’homme d’affaire Libero Grassi a été assassiné par la Cosa Nostra parce qu’il refusait de leur payer les pizzos. Bien que la Cosa Nostra ne soit plus aussi puissante qu’il y a 20 ans en raison des politiques anti-mafia menées à bien par le gouvernement italien cette mafia continue a orchestré des activités illicites. La Cosa Nostra profite de la vague de réfugiés pour « collaborer » avec les mafias africaines comme celle de la Black Axe mais cette dernière pourrait un jour dominée les mafias italiennes traditionnelles.

En traversant le quartier de Ballarò pour me rendre au Palais de Justice de Palerme pour interviewer le juge anti-mafia Calogero Ferrara, un homme s’approche de moi et me propose de la drogue. Je poursuis mon chemin entre les échoppes des commerçants qui vendent des épices. Il ne se passe pas plus de cinq minutes quand un homme chauve d’une trentaine d’années sort de sa veste un petit paquet de poudre blanche qui semble être de la cocaïne pour le donner à un homme bien plus jeune que lui d’origine africaine. Apparemment, le trafic de drogue de la part des mafias africaines est monnaie courante à Ballarò. Une femme ivoirienne qui vit à Palerme depuis cinq ans dans ce quartier s’est arrêtée à côté de moi pour caresser un chat avec son enfant. Elle me conseille d’être extrêmement vigilant. « Cette zone est contrôlée par la Black Axe (la Hache noire). » La mafia nigériane qui croît en Sicile comme dans les autres provinces italiennes et qui est jusqu’à aujourd’hui dirigée par les parrains de la Cosa Nostra.  Arrivé au Palais de Justice de Palerme je rencontre le juge anti-mafia Calogero Ferrara dans son bureau ultrasécurisé. Même si la Cosa Nostra ne commet plus autant d’assassinats qu’il y a vingt ans (depuis 1861 la Cosa Nostra a tué 526 personnes) le risque pour les juges est toujours présent. « L’année dernière nous avons arrêté 24 membres de la Black Axe à Palerme pour trafic de drogue, racket et prostitution » me dit le juge Calogero Ferrara. Il poursuit dans son explication : « c’est la première fois que nous nous confrontons à une organisation mafieuse différente des mafias traditionnelles d’Italie du sud. Il est vrai que la Black Axe est de plus en plus présente en Sicile mais la Cosa Nostra reste la mafia dominante par ici, contrairement à la ville de Turin (Italie du nord) où la Black Axe est devenue la mafia de référence. En Sicile, la Cosa Nostra « sous-traite les services » de la mafia nigériane au travers du trafic de migrants et de la prostitution dans le quartier de Ballarò » raconte le juge anti-mafia. Le business de la prostitution est une activité que la Cosa Nostra a toujours refusé d’organiser la considérant comme étant incompatible avec ses valeurs catholiques. Par contre, les membres pieux de cette mafia n’ont pas de problème à toucher les nombreux bénéfices que cette activité génère et que la mafia nigériane doit obligatoirement leur reverser. La Cosa Nostra a donc besoin de cette nouvelle collaboration qui lui permet de faire des millions de bénéfice. Mais elle est sur ses gardes car elle sait qu’elle pourrait être un jour renversée. C’est pour cela qu’elle empêche la Black Axe d’obtenir des armes à feu. Elle les laisse utiliser des machettes et des couteaux pour régler leurs comptes entre eux.   

Ville de Palerme, quartier de Ballarò, Sicile, Italie, avril 2017 Dans le quartier de Ballarò à Palerme où se trouve le fameux marché, un grand nombre de réfugiés s’y sont installés. Avant la crise des migrants, en pleine apogée en 2015, les habitants de Palerme n’étaient pas habitués à cohabiter avec des migrants. « Quand la Cosa Nostra gouvernait la ville il n’y avait aucun étranger » dit le maire Leoluca Orlando. Maintenant le quartier de Ballarò est connu comme l’épicentre de la drogue dirigé par la mafia nigériane de la Black Axe.

 

Ville de Palerme, quartier de Ballarò, Sicile, Italie, avril 2017 Dans le quartier de Ballarò à Palerme où se trouve le fameux marché, un grand nombre de réfugiés s’y sont installés. Avant la crise des migrants, en pleine apogée en 2015, les habitants de Palerme n’étaient pas habitués à cohabiter avec des migrants. « Quand la Cosa Nostra gouvernait la ville il n’y avait aucun étranger » dit le maire Leoluca Orlando. Maintenant le quartier de Ballarò est connu comme l’épicentre de la drogue dirigé par la mafia nigériane de la Black Axe.

Ville de Palerme, quartier de Ballarò, Sicile, Italie-avril 2017 Osas Egbon, ex prostituée et présidente de l’association d’aide aux travailleuses sexuelles Women of Benin City dans un bar du quartier de Ballarò. 90% des filles prostituées de force en Italie sont originaires de cette ville nigériane. Une prostitution dirigée par la mafia nigériane de la Black Axe et supervisée para la Cosa Nostra.

« Les mafias gagnent énormément d’argent avec la traite des personnes et la prostitution. On nous demande de payer entre 30 000 et 60 000 euros pour pouvoir traverser la mer depuis la Lybie pour aller en Europe » me dit énervée Osas Egbon, ex-prostituée et présidente de l’association d’aide pour les travailleuses sexuelles Women from Benin City, dans un bar situé dans le quartier de Ballarò. 90 % des prostituées en Italie sont originaires de la ville de Bénin city au Nigéria. « Avant de voyager en Europe pour s’assurer que les filles prostituées de force en Italie vont payer leurs dettes, les proxénètes utilisent la magie noire en prenant des poils d’aisselles ou du sang de menstruation pour leur faire peur en leur jetant un sort. » La Black Axe et la Cosa Nostra ? Osas Egbon sait très bien comment ces deux mafias utilisent des migrantes trompées depuis le Nigéria pour les prostituer dans les rues de Palerme mais elle refuse d’en parler. Plusieurs personnes écoutent notre conversation et une sensation de peur nous envahit. « Avec le prix de la passe à 20 euros, il faut des années pour s’acquitter de nos dettes et redevenir libres » termine Osas Egbon avant de quitter le bar. Bien que le gouvernement italien reste impuissant face à cette prostitution forcée dans ses rues, il essaye tant bien que mal de protéger au moins les migrants mineurs qui arrivent en Italie. Ils ont entre 9 et 15 ans et ils sont de plus en plus nombreux. En 2016, la municipalité de Palerme dirigée par le maire Leoluca Orlando a suggéré au gouvernement italien de prendre des mesures particulières pour protéger ces mineurs. Seuls et désemparés ils sont les nouvelles proies faciles de la Cosa Nostra en Sicile.

Jean-Jérôme Destouches/Hans Lucas Studio